Le dur travail des assistants de personnes âgées dans les hopitaux.

Transmis par Joeliah le 7 - mars - 2012

Il y a plus de 100 000 personnes âgées dans les CHSLD (Centres Hospitaliers de Soins de Longue Durée au Québec) et bien plus en France. Pas assez de personnel, la tâche est lourde pour s’occuper de ce monde fragilisé par l’âge et la maladie.
Pierre Foglia du Québec rend hommage à sa façon à ce personnel différent, plein de courage, qui fait son travail très souvent avec amour et détermination. Et même s’il y a des moments de relâchement par fatigue, par impossibilité de temps ou par manque de personnel, ou même si certains employés font ce travail sans y mettre leur coeur, il me semble juste de reconnaitre la valeur du travail de ces personnes, pas comme les autres.

La caméra  pas cachée.
Une  plainte monte du couloir. Encore M. Filion, dit  une préposée. Encore constipé. La plainte  devient une sorte de beuglement. Ça doit être  coincé et ça le déchire, commente une autre  préposée, j’y vais. Elle entre dans la chambre  où M. Filion, prostré, impuissant, humilié sans  doute aussi, pleure doucement. La préposée lui  prend la main. Là, là, M. Filion, on va arranger  ça. Elle baisse son pyjama, défait sa couche et,  de son doigt ganté, dégage l’anus du vieux  monsieur.

La caméra  avec laquelle j’écris cette chronique n’est pas  cachée. Ce que je vous montre, n’importe qui  peut le voir.
Prenons la plus courante des  tâches, celle qui est répétée le plus souvent  dans tous les CHSLD de la province. Le bain  partiel quotidien. Avec un gant de caoutchouc,  la préposée lave la figure, les fesses, la  vulve, le pénis du vieux ou de la vieille.  Enlève les champignons de son nombril avec un  coton-tige. Éponge le liquide brun et épais qui  suinte de ses oreilles.

J’ai dit la job  courante. Mais une job comme une autre?  Journaliste, plombier, institutrice, vendeuse  chez Renaud Bray, ça, ce sont des jobs normales,  comme les autres. Changer la couche des petits  enfants dans une garderie, c’est aussi une job  normale. Mais changer la couche d’un monsieur de  88 ans, ce n’est pas une job normale. Pas normal  pour le vieux monsieur. Pas normal pour la  vieille madame, pas normal pour la  préposée.

Laver la  vieille dame sous les seins, mais pas sous les  aisselles parce que son bras, trop raide, ne  décolle pas et qu’il faudrait être deux pour le  lever. Alors forcément, demain, après-demain, la  vieille dame va puer un peu. Mais elle puerait  de toute façon : 80 % des bénéficiaires des  CHSLD portent des couches. Lave-les tant que tu  veux, ils puent toujours un peu sous le parfum  dont on les asperge le  matin.

Couper  les ongles des orteils, qui poussent tout  croche. Gare s’ils déchirent les bas. La famille  en fera tout un plat. Leur avocat convoquera les  médias. Et Maisonneuve va encore s’exciter.  S’occupent pas de notre papa, c’t’écoeurant. La  faute au syndicat.

Nettoyer  les ongles des mains. Mais surtout sous les  ongles. Je viens de le dire, 80 % des  bénéficiaires sont en couche. Plusieurs jouent  dedans. Avec la sénilité revient, comme chez les  tout-petits, la fascination de la merde. Mais  parfois, aussi, c’est tout simplement parce que  ça les pique.

Les  nourrir. Madame X, madame Y, monsieur Z ont pris  place dans leur chaise à têtière, qui leur tient  la tête droite. Pour les gaver, une seule  préposée, assise, elle, sur une chaise à  roulettes pour pouvoir aller plus aisément de  l’un à l’autre. Hop, une petite cuillère de  crème de blé à madame X. Hop, une autre à madame  Y. Oups ! Monsieur Z ne veut pas ouvrir la  bouche. Ben alors, monsieur Z, on n’a pas faim,  aujourd’hui? Miam-miam, la bonne crème ! Hop,  elle revient à madame X, qui a régurgité.  D’abord lui essuyer les coins de la bouche avec  une serviette en papier. Hop madame Y, c’est  bien, madame Y ! S’il vous plaît, monsieur Z, je  vais me faire gronder par l’infirmière si vous  ne mangez pas. La préposée insiste un peu avec  sa cuillère. Les lèvres de M. Z se desserrent,  il aspire un peu de crème de blé. S’étouffe, la  recrache. La préposée en a plein ses lunettes.  Finalement, c’est madame Y qui a presque tout  mangé. Et quand elle a été bien pleine , elle a  déféqué. Hon ! Madame Y ! Venez, on va vous  changer.

Too much  information? Vous préférez quand la caméra  cachée surprend le préposé en train de traîner  le petit vieux sur le plancher comme une poche  de patates? Désolé, vous me confondez avec le  Téléjournal ou avec une émission de radio qui  sévit le midi.

Les  épidémies, les rhumes, les petites contrariétés  qui déclenchent des cataclysmes dans le  quotidien des pas-tout-à-fait-déconnectés. Le  fils chéri vient de téléphoner, il ne viendra  pas samedi. Ou le contraire, il est venu et ça  ne s’est pas bien passé. Les familles ! Faudrait  faire aux familles le coup de la caméra cachée.  Montrer les engueulades des enfants dans la  chambre du vieux, les discussions d’argent. La  paranoïa ambiante. Où est passé le haut de  pyjama de mon père? On ne sait pas, madame.  Votre père l’aura oublié dans une chambre où il  est entré en pensant que c’était la sienne. On  le retrouvera.

La  violence des bénéficiaires. Coups de pieds,  coups de poings aux préposés, insultes. Deuwwors  ! crie la vieille à la préposée Noire qui vient  d’entrer pour la laver : « Je ne veux pas  d’esclave dans ma  chambre. »

Le cul. Les  vieux qui sortent leur truc. Qui laissent  traîner leurs mains. La frénésie des vieilles à  l’arrivée d’un  nouveau.

La mort, quand  ne c’est pas eux qui meurent mais un proche, un  de leurs enfants, accident, cancer. Alors ils  engueulent le bon Dieu. Pourquoi c’est pas moi  que t’es venu chercher  ?

Il y a plus de 100 000  vieux dans les CHSLD. Plus de la moitié  totalement déconnectés, vertigineusement  absents, ni passé, ni présent, incapables de  reconnaître leurs propres enfants. Le regard  vide, la couche pleine. Et ce dont on n’arrête  pas de parler, c’est de quelques dérapages? Sans  montrer d’abord la chiennerie de fin de vie dans  laquelle s’inscrivent ces  dérapages?

Lâchez-moi  avec votre  dignité.

Est-il d’autre  dignité, rendu là, que la mort? Mettons que,  pour toutes sortes de raisons à la con, dont  quelques-unes religieuses, vous me répondiez  non, c’est pas ça, la dignité. La dignité, c’est  d’essuyer avec un coin de serviette en papier la  crème de blé qu’a régurgitée la vieille. La  dignité, c’est de dégager avec son doigt  l’anneau anal du vieux  constipé.
OK,  d’abord.

Reconnaissez au  moins que ce n’est pas une job comme les autres.  Que ce n’est pas une job normale. Reconnaissez  que ceux et celles qui la font sont admirables.  Pour moins de 400 piastres net par semaine,  sacrament, les mains jusqu’aux coudes dans la  marde de vos parents. Et vous les espionnez ? Et  vous les traitez de chiens sales ? Vous n’avez  pas honte ?
Pierre Foglia dans La Presse.
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