Paul H. King raconte : Vétérinaire frais émoulu de l’école, dans la mi-vingtaine, je savais tout. Je voyais le monde en noir et blanc: il y avait peu de zones grises. Je croyais que la médecine vétérinaire était précise, structurée, et qu’elle était régie par les lois de la science. Quelques années plus tard, j’ai vécu une expérience qui a affaibli ce mur d’inflexibilité.
Deux des clients les plus agréables de ma petite pratique dans une ville des montagnes étaient un couple âgé de retraités. On ne pouvait être plus doux et plus gentils qu’eux. Leur dévouement l’un pour l’autre et pour leurs bêtes était sans bornes. Où qu’ils aillent dans notre petite ville, leurs chiens les accompagnaient toujours. On croyait que ces deux adorables et loyaux chiens remplaçaient les enfants qu’ils n’avaient jamais eus. De plus, aux yeux de tous, la conviction religieuse de ce couple ne faisait aucun doute.
Par un froid matin d’hiver, ils sont arrivés à notre clinique avec le plus vieux de leurs chiens, Fritz. Leur gros et vieil ami ne pouvait mettre aucune pression sur ses pattes arrière sans souffrir terriblement. Le bon vieux chien évitait de bouger dans la mesure du possible. Lorsqu’il devait le faire, il se tirait avec les pattes avant un peu comme un phoque, en traînant ses pattes arrière atrophiées, tendues derrière lui. Peu importe les encouragements ou l’aide qu’on lui prodiguait, Fritz ne pouvait se lever ou se porter sur ses pattes de derrière. Animés des meilleures intentions, ses propriétaires lui avaient prodigué à la maison une série de traitements pendant l’hiver, mais sa condition s’était tout de même détériorée. Dans les yeux doux et intelligents du chien, on pouvait y lire aussi une grande douleur.
Mon associé et moi avons hospitalisé l’adorable vieux chien pendant quelques heures pour lui faire subir une batterie complète d’examens, faire des radiographies et autres tests. Tristement, nous en sommes venus à la conclusion qu’une dysplasie de la hanche, aussi vieille que lui, avait terriblement usé Fritz. Son grand âge, ses muscles atrophiés et douloureux, ses articulations déformées ne laissaient aucun espoir d’améliorer sa qualité de vie et de diminuer ses souffrances par la chirurgie. Nous nous sommes rendus à l’évidence que la seule manière de le soulager de ses douleurs serait une euthanasie sans souffrance.
Plus tard dans la journée, alors que la noirceur hivernale tombait sur notre petite ville dans les montagnes, le vieux couple est revenu à la clinique pour entendre notre verdict au sujet de leur bête adorée. Debout devant eux dans la salle d’examen, j’ai eu un frisson comme si j’avais été dehors par cette froide soirée d’hiver. De toute évidence, ils connaissaient déjà ma réponse car ils pleuraient avant même que je ne prenne la parole. En hésitant, j’ai expliqué la situation de leur vieil ami Fritz. Enfin, j’ai eu de la difficulté à leur dire que la meilleure chose à faire était de « l’endormir » pour mettre fin à ses souffrances.
Tout en continuant de pleurer, ils ont acquiescé d’un signe de tête. Puis, le mari a demandé : « Pouvons-nous attendre au matin avant de décider de l’endormir? » J’ai accepté. Il a ajouté : « Nous voulons retourner à la maison et prier ce soir. Le Seigneur nous aidera à décider. » Ils ont dit bonsoir à leur vieil ami et l’ont laissé se reposer à la clinique. Au moment où ils partaient, j’éprouvai beaucoup de sympathie à leur égard mais je me suis dit qu’aucune prière ne pourrait aider leur vieux chien.
Le lendemain matin, je suis entré tôt à la clinique pour traiter nos patients hospitalisés. Le chien handicapé du vieux couple était comme je l’avais laissé la veille. La douleur se lisait sur son visage, il était incapable de se lever, mais il avait toujours son air bon et intelligent. Une heure plus tard, le vieux couple est arrivé à la clinique. « Nous avons prié toute la nuit. Pouvons-nous voir Fritz? En le voyant, nous saurons ce que le Seigneur veut que nous fassions. »
Je les ai précédés vers la salle où se trouvait Fritz. En ouvrant la porte, j’ai jeté un coup d’oeil dans la salle et j’ai été surpris de voir Fritz debout dans sa cage. Sa queue frétillait et il avait l’air sincèrement heureux d’entendre la voix de ses maîtres. On ne voyait plus de trace de douleur ou de dysfonction.
Une tempête de cris de joie, canins et humains, d’embrassades et de larmes, a marqué les retrouvailles de Fritz et du vieux couple. Fritz a bondi vers l’automobile, dans une exubérance juvénile, pendant que le couple se réjouissait.
Derrière eux, ils ont laissé un jeune vétérinaire qui venait d’apprendre que la vie n’était pas faite que de noir et de blanc. Il y avait beaucoup de place pour les zones grises. Ce jour-là, j’ai compris que les miracles existaient.