2 visions de la même journée de fermiers pour comprendre et transformer des habitudes et vivre plus vrai, par Cécile Foissey :
AVANT
Évelyne, commence sa journée par la traite. Vers 9h, elle rentre petit déjeuner mais ce matin, René, son mari, lui dit « Les haricots sont bons à ramasser, après ils seront perdus…» d’un air de dire « vas-y tout de suite».
Elle ressent un malaise mais part ramasser ses haricots. Quand à 10heures, elle rentre affamée et fourbue, le téléphone sonne : « Vous êtes bien Mme Robert ? Oui ! Nous faisons une étude exclusive sur l’isolation des maisons de votre village, vous avez eu la chance d’être tiré au sort. Je vous propose un rendez-vous avec notre technicien mardi ou jeudi matin, ça vous convient ?”, « Ben, plutôt jeudi…», «Merci Madame Robert, à jeudi 12 à 13h30. Votre mari sera présent ?», « Oui, certainement ».
Évelyneraccroche, furieuse de s’être fait embobiner !
Elle finit de déjeuner, il est plus de 10h30. Ouf, il y a des restes pour midi, pas besoin de préparer le repas… C’est à ce moment-là qu’Etienne, son fils, arrive avec le technicien de la coop. « Vous mangerez bien avec nous ce midi, ça nous fera plaisir, n’est ce pas maman? ». « Ben, oui…» Elle se met donc à préparer le repas, une boule au ventre…
Elle avait décidé d’aller à son cours de peinture à 14h, elle ne pourra jamais être prête à temps. Elle tente: « J’ai mon cours de peinture à 14h, vous venez manger tôt, s’il vous plaît. ».
Là-dessus, René embraye: « Des conneries, ces cours de peinture, tu as d’autres choses à faire!». Elle a envie de répondre mais le technicien est là. Finalement, le repas dure et il est déjà 14h quand les hommes repartent, c’est trop tard pour le cours de peinture. Elle décide donc d’éplucher les haricots avec un sentiment désagréable, un goût amer de passer toujours après tout le monde…
THÉORIE : LES JEUX DE POUVOIRS
Le malaise d’Evelyne aux différents moments de la journée est le symptôme de jeux de pouvoir. Ils semblent courants et inoffensifs mais pas toujours. Il y a jeux de pouvoir entre deux personnes quand A fait faire, ressentir, dire ou penser quelque chose à B sans en prendre la responsabilité, sans assumer ouvertement sa demande. A ce moment-là, B ressent un malaise. Evelyne en subit plusieurs dans sa journée: -Quand son mari lui dit “les haricots sont bons à ramasser”, le message explicite (les mots) était donc fort différent du message implicite (va ramasser les haricots tout de suite!)
-En disant « après, ils seront perdus », il a accentué la pression psychologique sur Evelyne. Cette pression peut se faire par l’enjeu, un délai ou par l’affectif.
-A aucun moment, ni René, ni Etienne, ni la dame au téléphone n’ont pris la responsabilité de leur vraie demande : Pour René, faire ramasser les haricots, il a horreur du gaspillage; Pour la dame au téléphone, vendre des fenêtres et donc obtenir un RDV; Pour Etienne, ne pas avoir à cuisiner le midi et toujours pouvoir compter sur l’aide de sa mère.
-En plus, ils s’attendaient tous à un OUI! Ils avaient déjà imaginé les résultats sans prendre en compte le libre arbitre de l’autre. Evelyne a l’habitude de se soumettre aux jeux de pouvoirs et de faire passer ses besoins après ceux des autres.
Alors vous allez me dire: « Ben alors, cette pauvre Evelyne est l’innocente victime de son entourage !!! Ce n’est pas de sa faute si les autres sont égoïstes et manipulateurs…» Je suis désolée de vous décevoir mais un truc pour qu’une amorce de jeux de pouvoir devienne un jeu de pouvoirs, il faut: une complicité circulaire ! Je m’explique: René tente un « Les haricots doivent être ramassés » mais libre à Evelyne de ne pas rentrer dans le jeu. Quand elle y va, en colère contre son mari, sans avoir déjeuner, elle ne prend elle aussi pas la responsabilité de sa demande : « être respectée, être libre d’organiser sa journée comme elle veut ». Elle a un message implicite par ses soupirs et son mécontentement qui ne correspond pas au message explicite: « obéir et ramasser les haricots ». Elle a aussi le projet implicite envers les autres: elle voudrait qu’ils prennent soin de ses besoins sans qu’elle ait à le dire… Elle est donc complice inconsciente mais active du jeu… Elle aussi exerce un pouvoir sur les autres…
Les jeux de pouvoir sont de véritables bombes à retardement dans les relations que les humains tissent entre eux…
Alors comment les désamorcer ?
Les 6 conseils pour éviter cette bombe relationnelle :
1. Écouter ses malaises comme indicateurs des jeux de pouvoir
Les jeux de pouvoir engendrent assez rapidement des malaises chez les personnes concernées.
2. Prendre 100 % la responsabilité de sa réalité
C’est-à-dire apprendre à parler vrai, en toutes circonstances, exprimer ce que je ressens mais en l’assumant, reconnaître ce que j’ai fait et dit, demander clairement ce que je veux, expliciter ce que je pense sans avoir peur de la réaction probable de l’autre… Ne pas avoir peur du NON, des reproches, du rejet… Plus facile à dire qu’à faire !!! Cela exige à la fois intégrité, alignement, courage, honnêteté et conscience de sa propre réalité…
3. Prendre 0 % de la réalité de l’autre
Tout aussi difficile est de ne pas prendre la responsabilité de ce que l’autre vit, de ne plus prendre l’autre en charge, de ne plus vouloir le sauver à tout prix, de culpabiliser pour ce qui lui arrive. Il ne s’agit pas de jouer l’indifférence. C’est plutôt prendre une attitude d’écoute, de reconnaissance de ce que l’autre vit sans intervenir tant qu’il ne nous le demande pas.
4. Ne plus avoir de projet ou d’attentes implicites par rapport à l’autre
Ce principe nous oblige à clarifier d’abord pour nous-mêmes ce que nous attendons d’eux. En faisant l’exercice, on s’aperçoit très vite que nous sommes peu précis dans ce que nous attendons de l’autre. Cela exige que lorsque nous demandons quelque chose à quelqu’un, nous soyons prêts à recevoir un refus autant qu’un accord. Cela veut dire également, ne plus laisser l’autre deviner ce que nous voudrions qu’il fasse et qu’il dise… À l’inverse, il s’agit de cesser de deviner ce que les autres attendent de nous et d’apprendre à le leur demander au travers de phrases aussi simples que : « Qu’attends-tu de moi? », « Qu’est ce que je veux vraiment de l’autre? »
5. Oser les confrontations constructives
À la différence d’un conflit, les confrontations manifestent la volonté réelle et explicite de grandir à travers le processus, de se respecter tout en respectant l’autre… Ce principe nous amène à apprendre à « provoquer » des confrontations dès qu’un malaise est ressenti, plutôt que de laisser pourrir une situation, en espérant que le temps arrange les choses.
6. Poser ses limites
Une bonne mesure est de réfléchir aux limites à partir desquelles les besoins ne sont plus respectés, et de les signaler à l’autre.
APRÈS :
Evelyne, commence sa journée par la traite. Vers 9h, elle rentre déjeuner mais ce matin, René, son mari, lui dit « Les haricots sont bons à ramasser…» d’un air de dire « vas-y tout de suite». «René, ce que tu me demandes, c’est d’aller les ramasser tout de suite?» (elle fait prendre à René, l’entière responsabilité de sa demande), « Ben, oui », « Je ne veux pas m’en occuper maintenant, j’ai faim, je vais déjeuner » (elle prend 100% la responsabilité de ses besoins). René, la regarde un peu surpris puis part en ronchonnant. Elle rentre tranquillement, déjeune (elle ne prend pas les besoins de René en charge). Le téléphone sonne: «Vous êtes bien Mme Robert? «Oui!», «Nous faisons une étude exclusive sur l’isolation des maisons de votre village, vous avez eu la chance d’être tiré au sort. Je vous propose un rendez-vous avec notre technicien mardi ou jeudi, ça vous convient? », « Non, merci, bonne journée à vous. » (Elle pose ses limites en disant non). Elle raccroche, soulagée d’avoir su dire non. Elle range sa maison en pensant qu’il y a des restes pour midi, pas besoin de préparer le repas… C’est à ce moment-là que Etienne, son fils, arrive avec le technicien de la coop. « Vous mangerez bien avec nous ce midi, ça nous fera plaisir, n’est ce pas maman ? ». « Non Etienne, ce ne sera pas avec moi, car j’ai un rendez-vous en début d’après-midi mais vous trouverez bien de quoi vous faire un casse-croûte dans le frigo. ». (Elle prend 100% la responsabilité de ses besoins, elle ne prend pas les besoins d’Etienne en charge). Son fils est un peu surpris mais le technicien lui propose: «Nous pourrions aussi manger ensemble au restaurant du coin. ». « Bonne idée! » dit Etienne ravi. Evelyne se sent étrangement légère. Elle prépare ses affaires pour son cours de peinture de l’après-midi. Finalement, elle passe une excellente journée et revient heureuse et détendue. Le soir, à la traite, elle dit à Etienne : « A l’avenir, quand tu invites quelqu’un, pourrais-tu me prévenir à l’avance. Ça m’a mis mal à l’aise de devoir refuser devant le technicien. J’aurais plaisir à te dire oui, si je suis disponible.» (Elle ose les confrontations constructives et n’a donc pas d’attentes implicites) « Ok, maman, désolé, je n’avais pas l’intention de te mettre mal à l’aise, j’apprécie que tu me le dises. Je ferai plus attention à l’avenir.» Quand, René remet le couvert le soir avec les haricots, elle répond: « J’ai déjà plus de 100 bocaux de haricots à la cave. J’ai besoin de temps pour me détendre. Si c’est important pour toi, ramasse-les. ». Avec un sourire sincère: « Je sais que tu n’aimes pas gaspiller alors, je pourrais proposer à Charlotte, notre nièce, de venir les ramasser, elle sera contente. » (ou pas?!!! Attention au projet implicite!). Le repas se termine dans le calme. (Là, elle fait tout à la fois! Elle est trop forte!)
Source : Chambre d’agriculture de la Haute-Marne
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