Détecter et sortir des jeux de pouvoir

Transmis par Joeliah le 11 - juillet - 2014

2 visions de la même journée de fermiers pour comprendre et transformer des habitudes et vivre plus vrai, par Cécile Foissey :

AVANT

Évelyne, com­mence sa jour­née par la traite. Vers 9h, elle ren­tre petit déjeu­ner mais ce matin, René, son mari, lui dit « Les hari­cots sont bons à ramas­ser, après ils seront per­dus…» d’un air de dire « vas-y tout de suite».
Elle res­sent un malaise mais part ramas­ser ses hari­cots. Quand à 10heu­res, elle ren­tre affa­mée et four­bue, le télé­phone sonne : « Vous êtes bien Mme Robert ? Oui ! Nous fai­sons une étude exclu­sive sur l’iso­la­tion des mai­sons de votre vil­lage, vous avez eu la chance d’être tiré au sort. Je vous pro­pose un ren­dez-vous avec notre tech­ni­cien mardi ou jeudi matin, ça vous con­vient ?”, « Ben, plu­tôt jeudi…», «Merci Madame Robert, à jeudi 12 à 13h30. Votre mari sera pré­sent ?», « Oui, cer­tai­ne­ment ».
Évelynerac­cro­che, furieuse de s’être fait embo­bi­ner !

26272560_sElle finit de déjeu­ner, il est plus de 10h30. Ouf, il y a des res­tes pour midi, pas besoin de pré­pa­rer le repas… C’est à ce moment-là qu’Etienne, son fils, arrive avec le tech­ni­cien de la coop. « Vous man­ge­rez bien avec nous ce midi, ça nous fera plai­sir, n’est ce pas maman? ». « Ben, oui…» Elle se met donc à pré­pa­rer le repas, une boule au ven­tre…
Elle avait décidé d’aller à son cours de pein­ture à 14h, elle ne pourra jamais être prête à temps. Elle tente: « J’ai mon cours de pein­ture à 14h, vous venez man­ger tôt, s’il vous plaît. ».

Là-des­sus, René embraye: « Des con­ne­ries, ces cours de pein­ture, tu as d’autres cho­ses à faire!». Elle a envie de répon­dre mais le tech­ni­cien est là. Fina­le­ment, le repas dure et il est déjà 14h quand les hom­mes repar­tent, c’est trop tard pour le cours de pein­ture. Elle décide donc d’éplu­cher les hari­cots avec un sen­ti­ment désa­gréa­ble, un goût amer de pas­ser tou­jours après tout le monde…

THÉO­RIE : LES JEUX DE POU­VOIRS

Le malaise d’Eve­lyne aux dif­fé­rents moments de la jour­née est le symp­tôme de jeux de pou­voir. Ils sem­blent cou­rants et inof­fen­sifs mais pas tou­jours. Il y a jeux de pou­voir entre deux per­son­nes quand A fait faire, res­sen­tir, dire ou pen­ser quel­que chose à B sans en pren­dre la res­pon­sa­bi­lité, sans assu­mer ouver­te­ment sa demande. A ce moment-là, B res­sent un malaise. Eve­lyne en subit plu­sieurs dans sa jour­née: -Quand son mari lui dit “les hari­cots sont bons à ramas­ser”, le mes­sage expli­cite (les mots) était donc fort dif­fé­rent du mes­sage impli­cite (va ramas­ser les hari­cots tout de suite!)

-En disant « après, ils seront per­dus », il a accen­tué la pres­sion psy­cho­lo­gi­que sur Eve­lyne. Cette pres­sion peut se faire par l’enjeu, un délai ou par l’affec­tif.

-A aucun moment, ni René, ni Etienne, ni la dame au télé­phone n’ont pris la res­pon­sa­bi­lité de leur vraie demande : Pour René, faire ramas­ser les hari­cots, il a hor­reur du gas­pillage; Pour la dame au télé­phone, ven­dre des fenê­tres et donc obte­nir un RDV; Pour Etienne, ne pas avoir à cui­si­ner le midi et tou­jours pou­voir comp­ter sur l’aide de sa mère.

-En plus, ils s’atten­daient tous à un OUI! Ils avaient déjà ima­giné les résul­tats sans pren­dre en compte le libre arbi­tre de l’autre. Eve­lyne a l’habi­tude de se sou­met­tre aux jeux de pou­voirs et de faire pas­ser ses besoins après ceux des autres.

Alors vous allez me dire: « Ben alors, cette pau­vre Eve­lyne est l’inno­cente vic­time de son entou­rage !!! Ce n’est pas de sa faute si les autres sont égoïs­tes et mani­pu­la­teurs…» Je suis déso­lée de vous déce­voir mais un truc pour qu’une amorce de jeux de pou­voir devienne un jeu de pou­voirs, il faut: une com­pli­cité cir­cu­laire ! Je m’expli­que: René tente un « Les hari­cots doi­vent être ramas­sés » mais libre à Eve­lyne de ne pas ren­trer dans le jeu. Quand elle y va, en colère con­tre son mari, sans avoir déjeu­ner, elle ne prend elle aussi pas la res­pon­sa­bi­lité de sa demande : « être res­pec­tée, être libre d’orga­ni­ser sa jour­née comme elle veut ». Elle a un mes­sage impli­cite par ses sou­pirs et son mécon­ten­te­ment qui ne cor­res­pond pas au mes­sage expli­cite: « obéir et ramas­ser les hari­cots ». Elle a aussi le pro­jet impli­cite envers les autres: elle vou­drait qu’ils pren­nent soin de ses besoins sans qu’elle ait à le dire… Elle est donc com­plice incons­ciente mais active du jeu… Elle aussi exerce un pou­voir sur les autres…
Les jeux de pou­voir sont de véri­ta­bles bom­bes à retar­de­ment dans les rela­tions que les humains tis­sent entre eux…

Alors com­ment les désa­mor­cer ?

Les 6 con­seils pour évi­ter cette bombe rela­tion­nelle :

1. Écou­ter ses malai­ses comme indi­ca­teurs des jeux de pou­voir

Les jeux de pou­voir engen­drent assez rapi­de­ment des malai­ses chez les per­son­nes con­cer­nées.

2. Pren­dre 100 % la res­pon­sa­bi­lité de sa réa­lité

C’est-à-dire appren­dre à par­ler vrai, en tou­tes cir­cons­tan­ces, expri­mer ce que je res­sens mais en l’assu­mant, recon­naî­tre ce que j’ai fait et dit, deman­der clai­re­ment ce que je veux, expli­ci­ter ce que je pense sans avoir peur de la réac­tion pro­ba­ble de l’autre… Ne pas avoir peur du NON, des repro­ches, du rejet… Plus facile à dire qu’à faire !!! Cela exige à la fois inté­grité, ali­gne­ment, cou­rage, hon­nê­teté et cons­cience de sa pro­pre réa­lité…

3. Pren­dre 0 % de la réa­lité de l’autre

Tout aussi dif­fi­cile est de ne pas pren­dre la res­pon­sa­bi­lité de ce que l’autre vit, de ne plus pren­dre l’autre en charge, de ne plus vou­loir le sau­ver à tout prix, de cul­pa­bi­li­ser pour ce qui lui arrive. Il ne s’agit pas de jouer l’indif­fé­rence. C’est plu­tôt pren­dre une atti­tude d’écoute, de recon­nais­sance de ce que l’autre vit sans inter­ve­nir tant qu’il ne nous le demande pas.

4. Ne plus avoir de pro­jet ou d’atten­tes impli­ci­tes par rap­port à l’autre

Ce prin­cipe nous oblige à cla­ri­fier d’abord pour nous-mêmes ce que nous atten­dons d’eux. En fai­sant l’exer­cice, on s’aper­çoit très vite que nous som­mes peu pré­cis dans ce que nous atten­dons de l’autre. Cela exige que lors­que nous deman­dons quel­que chose à quelqu’un, nous soyons prêts à rece­voir un refus autant qu’un accord. Cela veut dire éga­le­ment, ne plus lais­ser l’autre devi­ner ce que nous vou­drions qu’il fasse et qu’il dise… À l’inverse, il s’agit de ces­ser de devi­ner ce que les autres atten­dent de nous et d’appren­dre à le leur deman­der au tra­vers de phra­ses aussi sim­ples que : « Qu’attends-tu de moi? », « Qu’est ce que je veux vrai­ment de l’autre? »

5. Oser les con­fron­ta­tions cons­truc­ti­ves

À la dif­fé­rence d’un con­flit, les con­fron­ta­tions mani­fes­tent la volonté réelle et expli­cite de gran­dir à tra­vers le pro­ces­sus, de se res­pec­ter tout en res­pec­tant l’autre… Ce prin­cipe nous amène à appren­dre à « pro­vo­quer » des con­fron­ta­tions dès qu’un malaise est res­senti, plu­tôt que de lais­ser pour­rir une situa­tion, en espé­rant que le temps arrange les cho­ses.

6. Poser ses limi­tes

Une bonne mesure est de réflé­chir aux limi­tes à par­tir des­quel­les les besoins ne sont plus res­pec­tés, et de les signa­ler à l’autre.

APRÈS :

Eve­lyne, com­mence sa jour­née par la traite. Vers 9h, elle ren­tre déjeu­ner mais ce matin, René, son mari, lui dit « Les hari­cots sont bons à ramas­ser…» d’un air de dire « vas-y tout de suite». «René, ce que tu me deman­des, c’est d’aller les ramas­ser tout de suite?» (elle fait pren­dre à René, l’entière res­pon­sa­bi­lité de sa demande), « Ben, oui », « Je ne veux pas m’en occu­per main­te­nant, j’ai faim, je vais déjeu­ner » (elle prend 100% la res­pon­sa­bi­lité de ses besoins). René, la regarde un peu sur­pris puis part en ron­chon­nant. Elle ren­tre tran­quille­ment, déjeune (elle ne prend pas les besoins de René en charge). Le télé­phone sonne: «Vous êtes bien Mme Robert? «Oui!», «Nous fai­sons une étude exclu­sive sur l’iso­la­tion des mai­sons de votre vil­lage, vous avez eu la chance d’être tiré au sort. Je vous pro­pose un ren­dez-vous avec notre tech­ni­cien mardi ou jeudi, ça vous con­vient? », « Non, merci, bonne jour­née à vous. » (Elle pose ses limi­tes en disant non). Elle rac­cro­che, sou­la­gée d’avoir su dire non. Elle range sa mai­son en pen­sant qu’il y a des res­tes pour midi, pas besoin de pré­pa­rer le repas… C’est à ce moment-là que Etienne, son fils, arrive avec le tech­ni­cien de la coop. « Vous man­ge­rez bien avec nous ce midi, ça nous fera plai­sir, n’est ce pas maman ? ». « Non Etienne, ce ne sera pas avec moi, car j’ai un ren­dez-vous en début d’après-midi mais vous trou­ve­rez bien de quoi vous faire un casse-croûte dans le frigo. ». (Elle prend 100% la res­pon­sa­bi­lité de ses besoins, elle ne prend pas les besoins d’Etienne en charge). Son fils est un peu sur­pris mais le tech­ni­cien lui pro­pose: «Nous pour­rions aussi man­ger ensem­ble au res­tau­rant du coin. ». « Bonne idée! » dit Etienne ravi. Eve­lyne se sent étran­ge­ment légère. Elle pré­pare ses affai­res pour son cours de pein­ture de l’après-midi. Fina­le­ment, elle passe une excel­lente jour­née et revient heu­reuse et déten­due. Le soir, à la traite, elle dit à Etienne : « A l’ave­nir, quand tu invi­tes quelqu’un, pour­rais-tu me pré­ve­nir à l’avance. Ça m’a mis mal à l’aise de devoir refu­ser devant le tech­ni­cien. J’aurais plai­sir à te dire oui, si je suis dis­po­ni­ble.» (Elle ose les con­fron­ta­tions cons­truc­ti­ves et n’a donc pas d’atten­tes impli­ci­tes) « Ok, maman, désolé, je n’avais pas l’inten­tion de te met­tre mal à l’aise, j’appré­cie que tu me le dises. Je ferai plus atten­tion à l’ave­nir.» Quand, René remet le cou­vert le soir avec les hari­cots, elle répond: « J’ai déjà plus de 100 bocaux de hari­cots à la cave. J’ai besoin de temps pour me déten­dre. Si c’est impor­tant pour toi, ramasse-les. ». Avec un sou­rire sin­cère: « Je sais que tu n’aimes pas gas­piller alors, je pour­rais pro­po­ser à Char­lotte, notre nièce, de venir les ramas­ser, elle sera con­tente. » (ou pas?!!! Atten­tion au pro­jet impli­cite!). Le repas se ter­mine dans le calme. (Là, elle fait tout à la fois! Elle est trop forte!)

Source : Chambre d’agriculture de la Haute-Marne

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