-On dit que tu es le meilleur peintre de mon empire et je veux m ‘en assurer. Je t’ordonne donc de me peindre un cygne, que jamais des yeux n’aient vu plus beau cygne en ce monde ; et je ferai de toi l’homme le plus riche du pays. Combien de temps te faudra-t-il ? -Dix ans mon seigneur
-Dix ans pour un cygne ?
-Dix ans … pour un beau cygne, Monseigneur
-Bien, dit l’empereur impassible, j’accepte et je viendrai moi-même le chercher dans dix ans, jour pour jour.
Les années passèrent. A la date prévue, l’empereur se présenta, entouré de notables, dans la modeste maison du peintre.
-Je viens chercher mon cygne. Où est-il ?
-Je vous attendais mon seigneur, répondit l’artiste.
Et il alla chercher une grande feuille de papier de riz, toute blanche. Il trempa son pinceau dans l’encre spécialement préparée, et devant l’assistance ébahie, il dessina d’un seul trait l’oiseau promis au Maître des Maîtres dix années auparavant.
– C’est le plus beau cygne que j’ai vu de ma vie, dit l’empereur ravi par tant de finesse et de splendeur, je te félicite et te remercie. Ta femme et tes enfants pourront vivre riches jusqu’à la fin de leurs jours. Je leur offre devant témoins, un palais, un lac, des bois et des champs. Mais toi, grand artiste, tu n’en jouiras point car je te ferai couper la tête pour t’être moqué de moi.
Le peintre se laissa enchaîner sans mot dire, devant sa famille en larmes. L’empereur et sa suite s’apprêtaient à repartir quand l’un de ses fils, prince de sang, lui cria d’une autre pièce où son insatiable curiosité l’avait attiré :
-Père, père, venez voir!
L’empereur traversa la salle à manger et rejoignit son fils dans l’atelier de l’artiste.
Par terre, sur les tables, accrochées aux murs, partout, des monceaux, des liasses de feuilles de papier de riz, avec des milliers, des millions de cygnes dessinés. Le peintre consciencieux s’était exercé pendant dix années, jour et nuit, pour être capable de créer devant les yeux de son empereur une œuvre digne de lui…
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Cela s’appelle conscience et respect.