Je me suis décidé à appuyer sur la sonnette. Au bout d’une minute, un petit homme rond en salopette est venu m’ouvrir. On s’est installé dans son salon sur un sofa défoncé. A la télé passait un feuilleton à l’eau de rose et le volume était très bas. – « C’est ma série préférée » avoua le vieux en me donnant un soda que je n’avais pas demandé.
Je traversais alors une période difficile. Des amis m’avaient vivement recommandé cet homme qui, à les entendre les avait sauvés et réalisait de vrais miracles sans se lever de son fauteuil, rien qu’en discutant avec vous et en livrant ses secrets sous forme de paraboles. J’étais intrigué mais prêt à partir si la conversation prenait un tour trop bizarre. Ce qui ne manqua pas d’arriver… et pourtant je suis resté. J’ai bien fait car ces quelques minutes ont changé ma vie.
– « Je ne veux plus avoir mal, commençai-je. Plus jamais. »
– « Quel bel espoir en effet que de ne plus jamais avoir à souffrir, mais ne crois-tu pas que tu en demandes beaucoup ? me répondit le petit homme en plissant ses yeux malicieux. »
– « On m’a dit que vous faisiez des miracles. Alors prouvez-le moi. Je vous croirez dès l’instant où mon dernier souci ce sera envolé. Sinon, au revoir… je n’ai plus rien à vous dire », fis-je sur un ton un peu plus dur que je ne l’aurais voulu.
– « Un instant mon jeune ami. J’ai ce qu’il te faut. J’ai même mieux que ce que tu demandes : je vais t’apprendre à avoir mal. »
Et effectivement, j’ai eu mal. Monsieur Fernando – c’était son nom – a mis le doigt sur toutes les parties de mon passé qui me faisaient souffrir : je lui ai raconté le décès de mes parents, mon premier gros chagrin d’amour, les trahisons d’amis, les maladies, tous ces souvenirs qu’on croit trop pénibles pour être évoqués mais qui ne demandent qu’à sortir.
La moindre anecdote était pour lui l’occasion d’en apercevoir plus, de dérouler l’écheveau de mes problèmes et de tailler dans le vif de ma douleur. Au bout de 2 heures de ce pénible accouchement, il a tout de même consenti à me livrer la solution.
– Imagine-toi comme un crayon neuf, me dit-il. Les premières fois où tu écris, ta mine est encore pointue et ne demande qu’à percer le papier. Les mots se tracent à toute allure et l’écriture est facile. Presque un plaisir. Mais plus tu écris et plus la mine s’émousse. Bientôt, les pleins et les déliés ne sont plus aussi beaux que tu les voudrais.
Tu es usé. Il faut te tailler, te redonner ta forme initiale. Mais ceci ne peut pas aller sans douleurs. Comme le crayon qui passe entre les lames du taille-crayon et y laisse quelques copeaux, tu dois t’attendre à perdre de vieilles peaux inutiles, des scories qui ont recouvert le ciel de ta conscience et ont terni ta joie de vivre. Tu dois apprendre à souffrir pour retrouve ta forme initiale.
Fernando a donc fait un miracle. Encore un. Il ne m’avait pas promis un avenir sans douleur, mais je ne saurais dire pourquoi en refermant la porte de sa petite maison, j’ai eu l’impression de savourer l’existence pour la première fois.
Nous sommes tous comme ce crayon qui, à peine a-t-il commencé à écrire est voué à l’usure et se raccourcit jusqu’à n’être plus qu’un petit morceau de bois. Pourtant, il doit conserver sa forme initiale pour continuer à écrire correctement. Les instants difficiles, les douleurs passagères sont alors comparables au taille-crayon qui redonne vie et efficacité au crayon. Rien n’est inutile, pas même la souffrance si nous savons l’exploiter et en tirer tous les enseignements.
Auteur inconnu.
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